Poésie israélienne
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Poésie israélienne
Découvrez des extraits des oeuvres de Dory Manor et Shimon Adaf.
Dory Manor
Poèmes choisis de Dory Manor, traduits de l'hébreu par Arnaud Bikard.
Minorité (juif)
Ah! C’est bon d’avoir quitté les Londres, les New York, les Paris,,
Ah ! C’est bon d’avoir quitté l’Europe et tout son resplendissement
Et d’être devenus membres d’un clan de va-nu-pieds que la fièvre pétrit,
Et qui murmure son amour aux sables et aux rochers de Canaan.
Uri Zvi Grinberg
O pays peuplé de poètes hétéros !
(Sauf un couard pathétique qui frappe les gamines)
Il y a deux ans que, sans mouchoirs, sans apéros,
J’ai sauvé ma peau en fuyant tes champs de mines.
Je rentrai en Europe, non par faim de héros
Poétiques, mais par peur, une peur intestine
J’avais envie d’aimer, de désirer, plus, trop,
Mais je sentais - pourquoi ? - mon cœur cerné d’épines.
J’aime à présent. Cyril, est-ce que tu m’entends ?
J’étais l’unique juif parmi les circoncis!
Mon pays, incurable, n’en a plus pour longtemps
Mais nous avons Berlin, Paris et Rome! Assis
Aux berges des fleuves de nos spermes généreux,
Nous annulons l'exil (et le reste est - hébreu).
Fil tiré d'une toile
L’homme peut-il chanter, pour soi, une berceuse ?
Peut-il se croire seul et ne pas se mentir ?
Fil tiré de la toile de son enfance heureuse
Il n’y a rien au monde qui puisse l’endormir.
A Vilnius, à Madrid, son esprit le fait fuir
Au nord du temps présent, à l’ouest de lui-même,
Il se fait des gondoles, voguant de veine en veine
Et il n’est rien au monde qui puisse l’endormir.
D’un duvet il se couvre et se sent comme si
Sa mère était penchée pour ajuster son lit
Il chante la berceuse, il s’entend la redire
Et il n’est rien au monde qui puisse l’endormir.
Le poète compte les membres de l'aimé
Trois cent soixante-cinq sont les tendons,
Deux cent quarante-huit sont les membres.
Tradition talmudique
A nouveau je t’étreins, à nouveau je prospère,
Je recompte un à un tes membres, et panique
Soudain, mais non, ils ont le nombre canonique,
Plus un, rien n’y manque ; à nouveau j’énumère
Cette fois sans angoisse : en mitron qui opère,
Le bras sûr, farinant la pâte et l’âme antique
Du pain, je pétris tous tes membres et j'abdique
Devant cette fournaise ; à nouveau j’énumère,
Cette fois du milieu, du bulbe qui engendre
La fleur-de-lys de chair qui déjà s’abandonne.
Feuille après feuille je mets à jour son cœur tendre
Mais il répand sur moi l’ahan de sa couronne
Et parmi tes tendons hurlants je fais entendre
Le vœu d’être à ta chair couple, non plus personne.
Shimon Adaf
Poèmes de Shimon Adaf, traduits de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, extraits du recueil Le monologue d'Icare, paru en août 2018 aux éditions Caractères.